mardi 12 avril 2011

Fwd: L’équation climat-énergie après Fukushima - Infos - terra-economica.info - SFEN VdL




 
Chronique - La catastrophe nucléaire de Fukushima repose la question de la place du nucléaire dans les politiques énergétiques du monde entier. Elle va sérieusement compliquer la résolution de l'équation climat-énergie, qui ressemblait déjà à la quadrature du cercle. Elle pourrait cependant contribuer à un sursaut nécessaire aujourd'hui à une humanité qui fonce tous feux éteints vers l'abîme. A la condition qu'elle soit intégrée dans une vision globale de notre rapport au monde.
    La nécessaire refonte de l'organisation énergétique européenne et française

Nous ne savons pas encore l'ampleur de la catastrophe de Fukushima, qui semble d'ores et déjà plus grave que celle de Three Miles Island. Mais le simple fait que ces installations se situent dans un pays de très haute niveau de technicité et qui avait une conscience claire et documentée du risque sismique (en rappelant que ce tremblement de terre n'est pas le big one) décrédibilise durablement le secteur dans son ensemble.

Cette perte de crédibilité va rendre inaudible un argument de bon sens : cet accident est lié à la sismicité de la zone et les réacteurs de Fukushima étaient anciens. Mais alors, soit les autorités le savaient et ont laissé faire, soit elles n'en avaient pas une claire conscience. Dans les deux cas qui nous dit qu'un risque de même ampleur (pas nécessairement lié à un séisme) ne nous est pas occulté sciemment ou inconsciemment ? Ce doute va d'autant plus s'installer que la transparence de l'industrie nucléaire est, à tort ou à raison, loin d'être considérée comme sa première qualité. La science et la technique ayant déjà été fort mises à mal par la vache folle, l'apparent excès de précaution dans la crise du H1N1, le débat avec les climato-sceptiques…, la parole de l'expert est de plus en plus contestée. Il y a fort à parier que la perte de crédibilité va être telle que les arguments rationnels ne porteront pas.

Très concrètement, la question de la gouvernance du nucléaire est également posée avec acuité. Quel dispositif peut donner confiance ? Un exploitant privé ne peut-il pas être toujours soupçonné de sous-investir en sécurité et maintenance, comme Tepco l'a semble-t-il fait ? L'autorité de sûreté a-t-elle toujours assez de poids pour contraindre à des arrêts et éventuellement des investissements lourds quand nécessaire ? Comment organiser les liens entre les opérateurs et le gouvernement en période de difficultés ? Dès lors la question centrale de la libéralisation du marché de l'énergie tous azimuts en Europe va être reposée. C'est d'ailleurs une bonne chose, tant l'idéologie néo-libérale qui domine dans les politiques énergétiques [1] est à l'origine d'un « monstre » (l'organisation énergétique en France ) qu'il est nécessaire et urgent de remettre en cause.

Le ralentissement du nucléaire

La première conséquence concrète de Fukushima devrait être l'arrêt des programmes « low-cost et sécurité non maximale [2] ». Et, espérons-le, l'arrêt des tranches existantes insuffisamment sécurisées. Mais il n'est pas impossible qu'on assiste à un gel du nucléaire – au sens d'arrêt des projets de nouvelles centrales - la seule question étant de savoir dans quelles régions du monde il n'aura pas lieu.

Ce gel va se faire pour des raisons d'acceptabilité sociale liée à cette perte de crédit, mais aussi pour des raisons de rentabilité financière et de coûts. Les conséquences économiques de l'accident de Fukushima ne seront pas faciles à évaluer dans un contexte aussi complexe : les impacts cumulés du tsunami, du tremblement de terre et de cet accident vont avoir un effet sur le PIB japonais ; l'économie japonaise est probablement amenée à souffrir pendant des mois. Difficiles à évaluer, elles n'en sont pas moins considérables. Les assureurs, les réassureurs et certainement l'Etat japonais vont avoir une très grosse facture à régler.

Qui va prendre la décision dans les comités d'engagement des banques et au sein des gouvernements de lancer une nouvelle centrale, du fait de cette évidence d'un risque potentiel élevé au plan humain et économique ?

Comment enfin ne pas faire augmenter la facture des nouveaux réacteurs (et plus généralement de toutes les opérations du cycle) pour augmenter encore les assurances de sécurité ? Dès lors, la compétitivité du nucléaire va baisser fortement. Pile au moment où les yeux sont rivés vers la baisse du prix du gaz aux USA, du fait de gisements de gaz non conventionnels (GNC) et même si l'ampleur des réserves de GNC est un objet de controverse et si ce nouvel eldorado n'est encore que très hypothétique.

Pour les parcs installés, notamment en France, le cœur du débat - et il est probable que ce sera l'un des enjeux de la présidentielle - va porter sur l'alternative « démantèlement ou prolongement [3] ». L'option du renouvellement intégral du parc qui dominait jusque-là va certainement être réexaminée, même si les enjeux sont considérables : 1 tranche de 900 MW fournit l'électricité à 550 000 logements chauffés à l'électricité ou 2 100 000 logements chauffés autrement. Et remplacer, toutes choses égales par ailleurs, une centrale nucléaire par des éoliennes (à compléter aujourd'hui par des CCG (centrales à cycle combiné gaz) pour faire face aux creux de vent) c'est investir 5 milliards d'euros [4].

Ouvrir les yeux

Même si le problème ne se pose évidemment pas de la même manière dans tous les pays (la part du nucléaire varie de 0 à environ 75% - en France - dans la production électrique), il est plus que probable que Fukushima va conduire à la réduction de la part relative du nucléaire dans le mix énergétique mondial (qui représente environ 14% de la production électrique mondiale ).

Nous allons donc nous trouver devant un choix radical.

1 - Poursuivre sur notre lancée, et remplacer le nucléaire manquant au rendez-vous par du charbon et du gaz (conventionnel ou non), qui sont aujourd'hui encore les sources de production électrique les moins coûteuses. La conséquence de cette option est claire : c'est l'aggravation de la dérive climatique car cette substitution conduit à plus d'émissions de CO2.

Si l'on remplaçait la production nucléaire actuelle par un mix gaz/charbon, on augmenterait, toutes choses égales par ailleurs, les émissions de CO2 de une à deux GTCO2 (milliards de tonnes de CO2 [5]). Comme nous envisageons bravement de continuer à faire croître notre production électrique, le faire par le recours aux fossiles dans un scénario « tendanciel » c'est augmenter la facture climatique d'un montant de l'ordre de 10 GT CO2 ; alors qu'il s'agit de viser sa réduction de plus de la moitié à cet horizon (passer de 50 GTCO2 qui est le montant actuel des émissions à 20 environ en 2050)….

2 - Nous ressaisir et nous mobiliser pour changer de route et remplacer le nucléaire manquant au rendez-vous par une réduction accrue de notre consommation d'énergie (qu'il faut de toutes façons réduire, avec ou sans la réduction du nucléaire envisagée) et par du renouvelable.

Il est d'abord impératif de réduire notre consommation d'énergie (et bien sûr pas que pour l'électricité). D'abord par la sobriété. Au-delà d'un certain niveau (nécessaire pour les besoins de base et un minimum de confort) l'accès à la puissance, de la consommation d'énergie du gaspillage (conscient ou pas) ne font pas le bonheur. Nous le savons. En revanche ils font de l'activité économique et de l'emploi. Ils mobilisent les équipes marketing qui nous abreuvent de publicité et stimulent nos désirs en permanence. Nous allons devoir nous désintoxiquer et ce ne sera pas facile.

Nous allons devoir également investir lourdement : l'isolation des logements coûte en ordre de grandeur 30 000 euros pour 100 m2. La rénovation accélérée de 30 millions de logements est un investissement considérable, à réaliser rapidement [6]. Et sa rentabilité pour le ménage n'est pas évidente, au prix actuel de l' énergie. Il va falloir améliorer notre efficacité énergétique dans tous les secteurs.

De nombreux espoirs sont fondés sur les renouvelables, qui font l'objet d'investissements et d'aides publiques importants. Pour l'électricité, leur contribution mondiale est aujourd'hui de l'ordre de 3% hors hydraulique qui en représente environ 15%. L'éolien et le solaire (photovoltaïque ou thermodynamique à concentration) ont produit 250 TWH (soit 1,5% de la production mondiale) mais ont cru très fortement (30% par an dans les 10 dernières années). Toute la question est donc celle du rythme de la croissance future. Sur 20 ans un taux de 10% par an fait passer les 250 à 1 700 TWH ; à 20 % on atteint en 2030 près de 10 000 TWH. Les autres renouvelables (grand hydraulique dans les pays émergents, biomasse si cela ne se fait pas au détriment de la forêt ou de l'alimentation) peuvent croître aussi plus ou moins vite.

La vitesse de pénétration effective des renouvelables dépend de nombreux facteurs : la poursuite des efforts publics de soutiens aux filières, la date d'arrivée de la « parité réseau » [7] pour le solaire, la disponibilité des matériaux nécessaires en quantité suffisante et à un prix acceptable, une capacité de production de ses énergies dans des pays à faible intensité carbone de l'énergie [8], la résolution des problèmes posés par la variabilité ou l'intermittence de ces énergies [9], l'acceptation par le public des nuisances ressenties (en France par exemple les éoliennes passent assez mal [10]) et, bien sûr, la vitesse de la mise en place d'un coût au carbone suffisant. [11]

Un appel au sursaut

Le sursaut est un immense défi. Son enjeu est vital. Il s'agit de cesser d'entretenir ce monde de crises et de violences dont l'intensité est « programmée » pour créer un monde plus humain.

Ce ne sera pas facile.

Nous allons devoir accepter une contrainte que nous refusons [12] : payer notre énergie de plus en plus cher. A la fois pour nous inciter à réduire notre consommation et éviter l'effet rebond [13], à la fois parce que le passage à un nouveau mode de production / consommation plus sobre et moins carboné nécessite de mettre un prix au carbone, et parce qu'il va falloir investir considérablement (dans les nouvelles énergies, et dans les dispositifs de réduction d'énergie).

Elle va aussi nous obliger à consacrer une part plus importante de nos revenus à l'investissement et une moindre à la consommation. Impossible bien sûr sans une politique sociale adaptée, mais même dans cette hypothèse, pas du tout facile.

Elle va aussi nous contraindre à accélérer la mutation de notre économie vers des activités moins consommatrices de ressources et d'énergie. Ce qui ne se fera pas sans résistances et sans remises en cause fortes : des emplois vont disparaître dans les secteurs « consuméristes » dans la production et la distribution d'énergie fossile, les emplois à créer sont dans la réparation, le recyclage, la maintenance, le bâtiment, l'agriculture… secteurs dont il n'est pas certain qu'ils attirent spontanément les jeunes !

Souhaitons que la puissance des chocs provoqués par Fukushima et par la crise au Moyen-Orient soit suffisante pour nous ouvrir les yeux et nous faire accepter ce défi sans précédent, voire pour nous en donner envie !

- Pour poursuivre le débat, rendez-vous sur notre-energie.org, une initiative citoyenne lancée par Terra eco

[1] Il va falloir d'ailleurs remettre en cause cette idéologie et les dispositifs qu'elle a secrétés également dans le domaine des transports… et bien sûr dans le domaine monétaire !

[2] L'appel d'offres d'une centrale nucléaire à Abu dhabi avait été perdu par l'industrie nucléaire contre l'entreprise sud-coréenne Kepco proposant une solution moins sécurisée et moins chère.

[3] Les centrales sont prolongées par tranche de 10 ans jusqu'à 40 ans. En 2018, Fessenheim, la plus ancienne, aura 30 ans ; la décision de la prolonger ou non jusqu'en 2028 sera prise prochainement (la visite décennale ayant eu lieu). Mais la mise en place de substituts aux centrales nucléaires et/ou de plans lourds de réduction de la demande d'énergie prend plusieurs années.

[4] Il faut en effet pour remplacer une tranche de 900 MW, environ 1 800 éoliennes de 2,5 MW et 2 CCG de 400 MW pour faire face à l'intermittence

[5] La production mondiale d'électricité est de 20 000 TWH et elle émet 12 GTCO2 (milliards de tonne de CO2) ; soit environ 600 grammes de CO2 par kwh. Le nucléaire c'est environ 2 800 TWH, qui émettent environ 56 MTCO2 (millions de tonnes de CO2), soit 20 grammes par kwh. Passer à la technologie la moins émettrice (le cycle combiné gaz) ce serait passer à environ 400 grammes par kwh, soit 1 GTCO2. Le charbon c'est le double.

[6] Si l'on voulait rénover le parc en 30 ans il faudrait investir chaque année au moins 30 milliards sans compter les coûts de formation et de déploiement de la filière

[7] Le solaire photovoltaïque est encore en France 5 fois plus couteux que le charbon ou le gaz (25 à 30 centimes le kwh contre 5 à 6). L'EPIA voit arriver la parité réseau en Europe entre maintenant (pour l'Italie) et 2030 pour les pays nordiques

[8] Fabriquer des panneaux photovoltaïques avec de l'électricité faite au charbon, n'a aucun sens au plan climatique.

[9] Les gestionnaires de réseau ont fait d'énormes progrès mais la question du stockage de l'électricité n'est pas encore résolue

[10] Les nanotechnologies envisagées dans les filières au meilleur rendement font l'objet d'une grande méfiance de la part du public

[11] Ce qui veut dire une taxe carbone, sous une forme ou sous une autre, dont le niveau doit s'élèver rapidement à 100 euros la tonne de CO2

[12] Du débat à la taxe carbone, à la récente déclaration du ministre de l'énergie suite à la déclaration d'EDF sur le prix de l'électricité, tout montre que les gouvernements n'arrivent pas à faire accepter aux citoyens ce qui est pourtant une absolue nécessité.

[13] L'effet rebond est bien connu et bien observé : une baisse de la consommation unitaire d'un bien ne s'accompagne pas de la baisse totale des consommations. Pour les maisons c'est le fait qu'une maison mieux isolée permet de se chauffer plus à budget énergétique constant. C'est le fait que les économies d'énergie faites grâce à un appareil libèrent un pouvoir d'achat qui permet d'acheter un autre appareil




Fwd: Berlin planche concrètement sur une sortie accélérée du nucléaire - Infos - GNY / AFP -SFEN VdL





Berlin planche concrètement sur une sortie accélérée du nucléaire

BERLIN — L'Allemagne veut accélérer la sortie du nucléaire et le développement des énergies renouvelables, notamment en favorisant la planification de parcs éoliens et la construction de lignes à haute tension, selon un document obtenu lundi par l'AFP.

Ce document, élaboré conjointement par les ministères de l'Environnement et de l'Economie, expose un "plan en six points pour un tournant de la politique énergétique".

Après le tremblement de terre qui a touché le Japon et la catastrophe de Fukushima, "la question de l'utilisation future de l'énergie nucléaire est ré-évaluée", selon ce texte, qui confirme ce que beaucoup soupçonnent déjà en Allemagne. "Nous allons sortir plus rapidement de l'énergie nucléaire" que prévu, écrivent les auteurs du document.

Les réacteurs allemands, qui produisent environ un tiers de l'électricité du pays, devaient initialement fermer d'ici 2020 mais le gouvernement d'Angela Merkel leur avait accordé à l'automne dernier un sursis de 12 ans.

Berlin change son fusil d'épaule et veut maintenant "passer rapidement à l'âge des énergies renouvelables", selon le plan des deux ministères.

A cette fin, tout sera mis en oeuvre pour soutenir les énergies propres, en particulier l'éolien, par exemple en "écartant les obstacles administratifs à de nouveaux parc éoliens", en facilitant les processus d'approbation de remplacement des vieilles éoliennes (repowering), par un soutien financier plus intensif des projets d'éolien en mer dans les premières années, ou encore au moyen d'une loi facilitant la construction de nouvelles lignes électriques.

La banque publique KfW doit aussi lancer dès le printemps un programme de crédits accordés aux projets en mer, doté de 5 milliards d'euros.

Berlin veut également augmenter les incitations aux économies d'énergie, et doter par exemple un fonds du climat et de l'énergie, déjà créé, d'un milliard d'euros supplémentaire en 2012, selon le texte. Certains avantages fiscaux pour les gros consommateurs d'énergie, industriels par exemple, doivent être conditionnés à l'atteinte d'objectifs d'efficacité énergétique.

Ce document doit être présenté vendredi aux chefs de gouvernement des Etats régionaux allemands. D'ici début juin, Berlin veut convenir d'une ligne de conduite sur le nucléaire, qui doit être adoptée en conseil des ministres le 7 ou le 15 juin.

Entre temps, fin mai, un comité d'éthique comprenant des représentants de la vie civile, des Eglises, des scientifiques, doit rendre un avis sur la question. Il a été mis en place par le gouvernement après que la chancelière Angela Merkel a annoncé le 15 mars la fermeture abrupte des sept réacteurs les plus anciens du pays.

Cette fermeture a été décidée pour trois mois mais ces réacteurs pourraient bien ne jamais reprendre du service, dans un pays dont 60% des citoyens se disent favorables à une sortie "le plus rapidement possible" de cette technologie, selon un sondage récent. Et où la confédération des groupes énergétiques allemands (BDEW) soutient désormais un abandon de l'énergie nucléaire d'ici 2020.




Investir dans un monde plus juste et écologique - Vendredi 15 avril 2011 de 14h à 18h

Pour prolonger la réflexion du numéro 40 de LaRevueDurable sur le thème « Investir dans un monde plus juste et plus beau », le député Yves Cochet, LaRevueDurable et Les Amis de la Terre vous invitent à une après-midi d'informations, de discussions et de propositions sur la finance et l'écologie.

Avec la participation d'Yves Cochet (Europe Ecologie - Les Verts), Yann Louvel (BankTrack et Les Amis de la Terre), Thomas Coutrot (Attac), Pascal Canfin (Europe Ecologie - Les Verts) et des représentants de la société financière La Nef et des associations Miramap, Terre de liens et Energie partagée.

Vendredi 15 avril 2011, de 14h à 18h, salle Victor Hugo, Immeuble Jacques Chaban Delmas, 101 rue de l'Université, Paris, VIIe.
Métro : Invalides ou Assemblée nationale.

Programme complet

Attention : L'entrée est libre et gratuite mais une inscription est obligatoire auprès de :
sylvia.generoso(AT)larevuedurable.com


Témoignage d'une française qui vit au Japon


 
 
 

Témoignage d'une française qui vit au Japon

«La vie ces jours-ci a Sendai  est plutôt surréaliste... Mais j'ai la chance d'être entourée d'amis qui m'aident énormément. J'ai d'ailleurs pris refuge chez eux puisque ma bicoque délabrée est maintenant totalement digne de ce nom. Nous partageons tout : eau, aliments, ainsi qu'un chauffage d'appoint au fuel.
La nuit, nous dormons tous dans une seule pièce,  nous dinons "aux chandelles", nous partageons nos histoires. C'est très beau, très chaleureux. Le jour, nous essayons de nettoyer la boue et les débris de nos maisons. Les gens font la queue pour s'approvisionner dès qu'un point d'eau est ouvert, ou ils restent dans leur voiture, à regarder les infos sur leur GPS. Quand l'eau est rétablie chez un particulier, il met une pancarte devant chez lui pour que les autres puissent en profiter.
Ce qui est époustouflant, c'est qu'il n'y a ni bousculade, ni pillage ici, même si les gens laissent leur porte d'entrée grande ouverte, comme il est recommandé de le faire lors d'un séisme.
Partout l'on entend: "Oh, c'est comme dans le bon vieux temps, quand tout le monde s'entraidait! "
Les tremblements de terre continuent: La nuit dernière, nous en avons eu tous les quarts d'heure.
Le hurlement des sirènes était incessant, ainsi que le vrombissement des hélicoptères au dessus de nous. Hier soir, l'eau a été rétablie pendant quelques heures, et aujourd'hui pendant la moitié de la journée. Nous avons aussi eu droit à un peu de courant cet après-midi.
Mais pas encore de gaz. Les améliorations dépendent des quartiers. Certains ont de l'eau, mais pas d'électricité et d'autres le contraire. Personne ne s'est lavé depuis des jours. Nous sommes crasseux, mais c'est de peu d'importance.
J'aime ce sentiment nouveau, cette disparition, desquamation du superflu, de tout ce qui n'est pas essentiel. Vivre pleinement  intuitivement, instinctivement, chaleureusement et survivre, non pas en tant qu'individu, mais en tant que communauté entière...
Des univers différents se côtoient étrangement :
Ici, des demeures dévastées, mais là, une maison intacte avec ses futons et sa lessive au soleil!
Ici, des gens font interminablement la queue pour de l'eau et des provisions, alors que d'autres promènent leur chien.
Puis aussi quelques touches de grande beauté : d'abord, la nuit silencieuse. Pas de bruit de voiture. Personne dans les rues. Mais un ciel étincelant d'étoiles.  D'habitude je n'en distingue qu'une ou deux...
Les montagnes autour de Sendai se détachent en ombre chinoise, magnifiques dans l'air frais de la nuit. Les Japonais sont eux-mêmes magnifiques : chaque jour, je passe chez moi, comme en ce moment même où je profite du rétablissement de l'électricité pour vous envoyer ce courriel, et chaque jour, je trouve de nouvelles provisions et de l'eau sur le seuil ! Qui les a déposées ? Je n'en ai pas la moindre idée !
Des hommes âgés en chapeau vert passent de maison en maison pour vérifier que chacun va bien. 
Tout le monde vous demande si vous avez besoin d'aide. Nulle part je ne vois de signe de peur. De résignation, oui. Mais ni peur ni panique! On nous annonce cependant des répliques sismiques, voire même d'autres séismes majeurs dans les prochains mois. En effet, le sol tremble, roule, gronde. J'ai la chance d'habiter un quartier de Sendai qui est en hauteur, un peu plus solide,et jusqu'à présent nous avons été relativement épargnés.
Hier soir, autre bienfait : le mari d'une amie m'apporte de la campagne des provisions et de l'eau.
Je viens de comprendre à travers cette expérience, qu'une étape cosmique est en train d'être franchie partout dans le monde. Et mon coeur s'ouvre de plus en plus.
Mon frère m'a demandé si je me sentais petite et insignifiante par rapport à ce qui vient d'arriver.
Eh bien non ! Au lieu de cela, je sens que je fais partie de quelque chose de bien plus grand que moi. Cette "re-naissance" mondiale est dure, et pourtant magnifique ! »




Fwd: Michel Serres: "Nous sommes à la fin d'une ère" - Infos - le jdd.fr - SFEN VdL



 

Serres: "Nous sommes à la fin d'une ère"

http://www.lejdd.fr/International/Actualite/Michel-Serres-293539/?sitemapnews

On note la prise de position pour le nucléaire (EG)

Ce Gascon de 80 ans est incroyable. Célèbre au Japon avant d'être connu en France, professeur à Stanford en Californie et académicien, il promène sur le monde son regard d'éternel jeune homme. À contre-courant. Comme le Sphinx, qui avait sa question fétiche pour ses visiteurs ("Quel est l'animal qui marche à quatre, puis deux puis trois pattes?"), le malicieux Michel Serres a la sienne: "Quel est l'événement le plus important du XXe siècle?" Le Sphinx s'était jeté de la falaise après la bonne réponse d'Œdipe. Michel Serres, à ce jour, n'est tombé sur personne qui trouve "sa" bonne réponse*. Heureusement! Et puis au lieu de dévorer les ignorants de passage, comme le faisait l'animal grec, notre animal gascon les instruits. Enfin, il tente, le bougre…


Le Japon donne un spectacle de fin du monde. . . Est-elle pour bientôt?
Il y a déjà eu cinq grandes catastrophes, il y a des millions d'années, qui ont éradiqué entre 90 et 95% du vivant. Elles étaient consécutives à des chutes de météorites ou à des volcans. Nous sommes certainement nés d'une de celles-là. La Terre elle-même est née comme cela, de plusieurs météorites qui ont choqué! Notre planète est à la fois une catastrophe et une naissance. Des séismes comme celui du Japon, il y en a déjà eu beaucoup. Ce n'est donc pas la sixième fin du monde…

Vous avez déclaré que "tout écologiste sérieux devrait être pour le nucléaire"... Maintenez vous la formule?
Je ne sais pas trop. La question n'est pas simple et elle est double. Il y a d'abord la question de l'énergie. Il y a aussi l'urgence de limiter les émissions de monoxyde de carbone. Pour le moment, l'énergie nucléaire est la plus propre.

Tant qu'il n'y a pas d'accident!
Il y aura un avant et un après Fukushima, c'est un événement mondial. Une catastrophe mondiale. Une catastrophe au sens littéral du mot, le "bord", une "coupure"… Mais à mon sens, il faut faire attention à la réaction à chaud. Merkel a arrêté les centrales nucléaires allemandes, mais elle a besoin des voix des Verts. C'est une réaction politique. Si demain matin il y a un débat sur le nucléaire, ce sera un bouc émissaire évident… Moi, je veux bien: je ne prends plus ma voiture quand je suis à Paris, je marche à pied. Il m'arrive de marcher quatre heures pour aller travailler. Je suis à une heure et demie de Bruxelles, j'y étais la semaine dernière et je ne le dis même pas à ma femme, c'est comme aller à la Défense. Lyon est à deux heures et Londres à deux heures et demie. En fait, j'habite "Palobru", Paris, Londres et Bruxelles à la fois. Grâce à quoi? À des dépenses d'énergie colossales! Quand mon grand-père est allé à San Francisco, il a mis six mois en goélette par le cap Horn. J'y vais deux fois par an, en douze heures d'avion. Si on voulait pédaler sur un vélo pour recharger son téléphone portable, il faudrait pédaler deux jours et demi! Voilà le débat qu'il faut poser. Pour le moment, on n'a pas de solution de rechange au nucléaire. On peut tout arrêter, mais on revient à la bougie…

Qu'est-ce que ça serait une société sans énergie?
Une société du Moyen Âge. Les éoliennes, ce sont les moulins à vent du Moyen Âge. L'énergie, la machine à vapeur, c'est justement la société industrielle du XIXe siècle. Comment faire une société où l'on dépense moins d'énergie? Pour venir jusqu'à chez moi à scooter, vous avez dépensé du pétrole et vous avez émis du CO2. Vous avez mangé chaud à midi, vous mangerez chaud ce soir. Votre alimentation vient d'Afrique du Sud, du Maroc… Ce débat-là met en question la totalité de nos conduites et de nos comportements.

Comment vit-on avec un potentiel de catastrophe aussi "certain"? C'est effrayant...
Il y a des catastrophes bien plus effrayantes dans l'histoire de l'humanité. À la fin de l'Empire romain, il y a une chute démographique telle qu'il faut attendre le XVIIe siècle pour retrouver le même niveau de population en Europe. On ne sait pas pourquoi la natalité a baissé à ce point. Il y a eu des effondrements de population gigantesques : on pense maintenant qu'au début du néolitihique, quand nos ancêtres se mettent à élever des moutons, il y a 12.000 ans environ, le passage des bactéries animales à l'homme a fait des dégâts considérables. Ce n'est pas étonnant que les grands textes de l'humanité commencent presque tous par un déluge. Il y a un déluge chez les hindous, chez les Égyptiens, chez les juifs, chez les Grecs… Ce qui prouve que nous sommes les enfants d'une catastrophe de ce genre. Nous sortons d'une période, depuis le début du XIXe où la Terre a été étonnament calme. On pense même aujourd'hui que la révolution industrielle et les progrès en Occident ont été possibles pendant une sorte de période d'assoupissement de la Terre. Et là, elle se réveille. Depuis que l'échelle de Richter a été créée, dans les années 1935, il n'y avait pas eu de 9. C'était le premier. On sait aussi qu'il y aura trois "Big One". Un sur la faille de San Andreas, en Californie. Un deuxième du côté d'Istanbul, et puis un troisième au Japon, où trois plaques s'emmêlent. On se sait pas quand…

Comment expliquez-vous le grand calme des Japonais?
Ils ont l'habitude du tremblement de terre… Et une grande sagesse. Au Japon, cela tremble tout le temps. Je me souviens d'un tremblement de terre au milieu de la gare. Cela dure longtemps. Personne ne bouge. Une autre fois, au théâtre. L'acteur a marqué une pause un instant et a continué. Les Japonais ont une culture du séisme. La première fois que j'y suis allé, j'avais apporté un panier de fraises. Mes amis japonais avaient commencé par manger les meilleures. Cela m'avait étonné. Ils m'avaient dit "au cas où"… On peut toujours mourir. Dans leur quotidien, ils n'ont pas la même conduite que nous. La mort est chez eux une compagne invisible. Cela forme un groupe, des individus très différents.

Très différents de nous, Français?
Nous, ici, en France, on ne risque jamais rien! On est le seul pays du monde à zéro risque! Dans le dictionnaire des risques, il n'y a pas la France. Je dis souvent, on n'a pas le droit de dire qu'il fait chaud tant qu'on n'a pas été à Bamako. On n'a pas le droit de dire qu'il pleut tant qu'on n'a pas été en Équateur. On n'a pas le droit de dire qu'il fait froid tant qu'on n'a pas été au Labrador l'hiver, et on n'a pas le droit de dire qu'il neige tant qu'on a pas été à Buffalo, sur les Grands Lacs… La France est un pays exceptionnel! Exceptionnel au niveau du climat, entre le pôle et l'équateur. On a les meilleurs fromages, les meilleurs vins, une agriculture formidable. Alors forcément, dès qu'il arrive une catastrophe quelque part, vu d'ici, c'est la fin du monde ! On est à l'inverse des Japonais. Comme on ne risque rien, on s'affole de tout!

Vous ne pensez pas que nous vivons une parenthèse? Que douze heures pour faire Paris- San Francisco, cela ne va pas durer éternellement?
Oui. Cela ne peut pas durer. On est en train de griller toute l'énergie de la planète. Il n'y a pas de doute. Dans un grand magasin américain, la moyenne de provenance des produits est de 10.000 km. Le volume des déchets sur terre a atteint le volume de l'érosion naturelle. Cela ne peut pas durer très longtemps. Ce n'est pas la fin du monde, c'est la fin d'une ère. On termine une ère. C'est une période de l'humanité qui s'achève.

Vous avez écrit qu'on est entré en néolithique 2...
Oui, depuis quelques années seulement, moins de 3% des Français sont des paysans. Ils étaient plus de 75% au début du XXe. Il y a aussi d'autres facteurs de changement d'ère, comme la généralisation de la péridurale, par exemple. Aujourd'hui, les femmes accouchent à 92 % sans douleur. Autrefois, jusqu'à 40% des femmes mouraient en couches, c'était terrifiant. L'espérance de vie des femmes était de 30 ans en 1850, elle est de plus de 80 aujourd'hui. Cela aussi, ça change tout. Quand elles se mariaient à 20 ans, elles juraient fidélité pour dix ans… pas pour les soixante ans d'aujourd'hui. Quand mon père est parti à la guerre de 1914, il donnait une dizaine d'années de vie à son pays ; aujourd'hui, un jeune de 20 ans, on lui demande de donner soixante ans de vie! En quelques années à peine, le rapport à la nature, à la naissance, à la vie, à la mort, à l'accouchement, tout a changé. Sauf les institutions de l'ancien monde. On ne vit plus dans le même espace. Regardez le Japon, le fait que l'on soit au courant, en temps réel, et de façon extrêmement précise de ce qui se passe à Fukushima, qui est au bout de mon jardin, cela aussi cela change tout. On est tous devenu voisins.

* Pour Michel Serres, l'événement le plus important du XXe siècle est "la fin de l'agriculture".

Laurent Valdiguié - Le Journal du Dimanche

Samedi 02 Avril 2011