samedi 13 novembre 2010

"Le Dernier Voyage de Tanya" : voyage envoûtant aux confins de l'histoire russe - LeMonde.fr


http://www.lemonde.fr/cinema/article/2010/11/02/le-dernier-voyage-de-tanya-voyage-envoutant-aux-confins-de-l-histoire-russe_1434326_3476.html

Le récit est mené, en voix off, par Aist, quelque part depuis un futur indéterminé, surplombant les événements sans jamais les déflorer. Ce choix de narration ouvre à l'intériorité en même temps qu'il introduit une distance qui trouvera son explication à l'extrême fin du voyage. Signé par un réalisateur de 44 ans inconnu en France, LeVoyage de Tanya est un film saturé de beauté et de mystère.

La beauté, c'est le mouvement lent qui emporte ces deux hommes entre les vestiges de la culture meria et le dernier hommage qu'ils vont rendre à une femme adorée. Le fleuve, avec ses majestueux lacis, son envoûtante profondeur, fait tenir ensemble le passé et le présent, la vie et la mort. Révéré telle une source d'immortalité par la civilisation païenne de ce peuple ancien, il accueillera les cendres du corps de Tanya que les deux hommes, sur sa rive déserte, auront fait amoureusement brûler.

Précarité charnelle

Cette longue séquence, magnifique et silencieuse, est le pivot d'un film qui nous mène à la transcendance en nous épargnant sa pompe. Le Dernier Voyage, hymne à la précarité charnelle et à la perpétuation de la vie, se livre pour cela à une érotisation de l'absence.

Tel flash-back réinvente, avec une vitalité sensuelle, un rite au cours duquel de jeunes naïades tressent des papillotes multicolores à la toison de la jeune mariée. Telle rencontre sur le chemin du retour met en scène deux jolies filles pâmées, sans le corps des hommes qui leur font l'amour.

Le mystère, lui, affleure par révélations successives : Aist aurait-il aussi aimé Tanya ? Se serait-elle donnée à lui, pour rédimer son couple stérile ? Hitchcock refait ici surface : Miron aurait-il entraîné Aist dans ce périple par vengeance ? On suit cette piste incertaine, jusqu'au moment où le film dévoile son terrible secret. Pour le connaître, de deux choses l'une : demander aux pinsons qui en sont témoins ou aller au cinéma. L'occasion n'est après tout pas si fréquente de découvrir un film russe de ce calibre.

Cette perle tombe en pleine année France-Russie, qui célèbre la production artistique russe. Côté cinéma, nombre de manifestations (à Paris, Honfleur, Toulouse...) annoncent l'émergence d'une "nouvelle vague" d'auteurs. Celle-ci peine à émerger. Après avoir mis vingt ans à juguler l'effondrement de sa production, le cinéma russe a reconquis une part de son marché (25 %) par le seul fait des superproductions commerciales, du type Night Watch (2004), de Timur Bekmambetov. Cela explique la rareté de sa distribution en France, où l'on découvre pourtant de loin en loin d'excellentes surprises.

Le Retour (2003), d'Andreï ZviaguintsevKoktebel (2005), de Boris Khlebnikov etAlexeï Popogrebsky, ou Mon bonheur, de l'Ukrainien Sergueï Loznitsa (sortie le 17 novembre) : autant de films qui prennent, à l'instar du Dernier Voyage de Tanya, la forme d'un road-movie dans les provinces de l'ex-empire. Perte des traditions, élégie de la filiation et quête des origines semblent devoir justifier cette errance dans le pays intérieur, d'où la voix russe du cinéma célèbre l'exil universel.


Bien cordialement,

Michel SALOFF-COSTE






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