lundi 30 mars 2009

(Re)lire Arne Næss (1912-2009): écologie, métaphysique et action


Chers amis,
 
Ci dessous un philosophe à relire , fondateur de la « deep ecology" , car l'écologie ne peut se mettre en pratique qu'en travaillant déjà et surtout sur nous même , nos visions , modes de représentations, valeurs, … l'être au paraitre pour faire court .
Je pense bien des choses à reprendre , en ce moment, pour faire face à la crise de civilisation que nous entamons
 
Son livre fondateur :
 
 
 

Ecologie, communauté et style de vie 

de Arne Naess (Auteur)


Présentation de l'éditeur
Ecologie, communauté et style de vie est le livre le plus emblématique du mouvement de la deep ecology. Arne Næss y présente sous une forme rassemblée les grands principes de sa philosophie environnementale, l'Ecosophie T: un système éthique cohérent d'inspiration spinoziste dans lequel la valeur des choses est jugée indépendamment de leur utilité. Næss met aussi en relief l'incapacité de presque toutes les grandes philosophies à penser la nature de manière conséquente. Contre les conceptions purement objectives, subjectives ou phénoménales de la réalité, il propose une lecture relationnelle et gestaltiste du monde et exprime en toute clarté les bases fondamentales et révisables de son système dont il conçoit la norme la plus haute sous le nom de " réalisation de Soi ! ". Sous ce terme laissé volontairement vague, il entend l'activité selon laquelle les besoins et les désirs individuels s'accordent avec la reconnaissance du caractère fondamental de toute vie. Arne Næss déploie ce système selon une dynamique logique jusqu'au niveau des recommandations les plus concrètes. Réflexions théoriques, jugements de valeur et maximes pratiques se répondent donc au sein de cet ouvrage qui entend lutter contre ce qui nous vine encore aujourd'hui: le développement d'une société techno-industrielle qui détériore les conditions de vie actuelles et futures de toutes les espèces, la notre y compris. Déjà traduit en cinq langues, cet ouvrage fondateur, qui propose pour la réflexion écologiste en France des bases métaphysiques qu'elle attend encore, n'a rien perdu de son actualité et présente une voie pleine de promesses pour échapper à la catastrophe vers laquelle nous continuons de courir. 

Biographie de l'auteur
Philosophe norvégien, figure historique du mouvement de la deep ecology, qu'il fonde dans les années 1970, Arne Næss (1912) est internationalement reconnu comme l'un des rares penseurs de l'écologie à avoir exercé une influence décisive sur des milliers d'activistes dans le monde ainsi que sur le cours général des politiques publiques en matière d'environnement. Ecologie communauté et style de vie est son premier livre traduit en français.
 
 
 
 

(Re)lire Arne Næss (1912-2009): écologie, métaphysique et action

 

Par Charles Ruelle •


L'écologie est née science, elle est devenue politique. Mais si la politique est la science des fins, il semble bien que l'écologie ait été vidée de sa substance, utilisée comme elle l'est actuellement en tant que slogan ou moyen marketing. Mais à quoi sert-il de prétendre vouloir protéger la nature, dès lors que le seul but recherché est la poursuite d'objectifs contradictoires sans cesse reconduits – ceux de la croissance et l'enrichissement matériel – ou la transformation radicale de nos modes de vie sans véritablement connaître ou sans s'en donner les vrais moyens ? 
 

Une question fondamentale se pose donc à nous : que voulons-nous donc vraiment ? Quelles sont les valeurs qui, selon nous, doivent gouverner nos actions ? La question n'appelle pas seulement une analyse en termes de critique sociale, mais elle demande une réponse métaphysique. Car il ne peut y avoir d'écologie politique ou de politique de l'écologie sans une profonde interrogation sur nos principes et nos valeurs ultimes, sur ce qui fait que nous agissons aujourd'hui, dans nos sociétés industrielles, de manière contraire à nos intuitions premières, et sur les conditions d'harmonisation de ces intuitions avec les fins de nos actions.
 

Le philosophe norvégien Arne Næss, mort le 12 janvier 2009, avait sans doute mieux que nul autre compris cette nécessité de repenser nos impératifs métaphysiques et culturels afin de résoudre la crise environnementale. Il en avait fait son principal objectif en fondant, dans les années 1970, l'écologie profonde, un mouvement philosophique et politique caractérisé par un ensemble de grands principes, de normes et de valeurs extraits d'une réflexion critique en profondeur sur les fondements de notre culture religieuse, industrielle, etc., et susceptibles d'inspirer des actions respectueuses de l'environnement. 
 

En opposition à l'écologie «superficielle» dont l'unique caractéristique est la «lutte contre la pollution et l'épuisement des ressources» et selon laquelle «une action décousue sur les structures économique, sociale et technologique est adéquate» pour résoudre la crise environnementale, l'écologie profonde propose un retour aux prémisses ultimes de nos actions, et la transformation de notre vision du monde.
 

Arne Næss a formulé et corrigé à de nombreuses reprises les principes fédérateurs de son mouvement, dont les plus remarquables sont le rejet de l'image de l'homme-dans-l'environnement, au profit d'une conception relationnelle du monde (l'homme n'est pas un empire dans un empire mais un nœud au sein d'un tissu de relations), et l'affirmation de l'égalitarisme biosphérique («de principe»), à savoir le droit égal de vivre et de mourir pour toute espèce. La question des modalités et la justification de l'attribution d'une valeur intrinsèque, ou inhérente, à d'autres êtres que l'homme par les philosophes de l'environnement n'a pas manqué de susciter nombre de discussions, notamment dans le cadre de l'éthique environnementale qui s'est particulièrement développée aux États-Unis ou en Australie (cf. H.-S. Afeissa, Ethique de l'environnement, Vrin, 2007)
 
 
 

Næss occupe toutefois dans ce champ une position singulière, restant très discret par rapport aux débats sur la valeur intrinsèque. Tandis que l'éthique environnementale s'est généralement concentrée sur une ontologie des valeurs (quelles sont les modalités d'existence et de justification de la valeur intrinsèque?), Næss a consacré la majeure partie de son œuvre d'écophilosophe à la construction d'une ontologique générale (de quoi l'univers est-il fait ?) cohérente avec les données de l'écologie scientifique (selon laquelle «tout dans la nature vivante est interconnecté»). Mais il s'est aussi, et surtout, impliqué dans l'élaboration d'une systématique permettant de dériver, à partir d'un ensemble de normes premières et d'hypothèses, d'autres normes plus précises capables d'orienter des directives et des actions concrètes.
 

Næss pensait en effet que «l'entière signification d'une théorie peut uniquement se révéler en pratique, et que la pratique sans théorie est aveugle». L'écologie profonde implique donc «à la fois des décisions concrètes face aux conflits environnementaux et des directives abstraites de caractère philosophique». Disant cela, Næss ne fait qu'appliquer à un domaine particulier, l'ensemble des travaux qu'il a principalement conduits entre 1933 et 1970. De son aveu même : «Le mouvement écologique global initié par Rachel Carson [auteur en 1962 du Printemps silencieux, livre fondateur du mouvement environnemental aux États-Unis, ndr] m'a donné l'opportunité de réunir les plupart des thèmes de mon œuvre philosophique sous une forme systématique.»
 

Né en 1912 en Norvège, formé aux sciences et aux mathématiques, s'inspirant très tôt de Spinoza dont il restera un grand lecteur, Næss a fréquenté dans les années 1930 le Cercle de Vienne. Son œuvre, bien que souvent à rebours des thèses des positivistes, n'exprimera pas moins durant de nombreuses décennies l'attachement du philosophe pour la théorie des systèmes rationnels (théorie des liens entre un ensemble de prémisses et leurs conclusions), notamment logiques et sémantiques, mais aussi politiques dans le cadre de ses réflexions sur la philosophie gandhienne.
 

En 1970, Næss abandonne son statut de «fonctionnaire de la philosophie» (il détient alors la chaire de philosophie de l'Université d'Oslo depuis l'âge de 27 ans) pour se consacrer pleinement à la philosophie et la défense de l'environnement. Cette césure biographique pourrait largement servir d'alibi pour sortir les thèses de l'écologie profonde, telles que Næss les exprime, de l'arrière-plan théorique auquel elles étaient intégrées – cela notamment pour mieux marquer une prétendue indifférence de l'écologie profonde à l'égard de toute action, à la différence de l'écologie sociale, voire celle des ministères ; elle a aussi servi à attaquer le mouvement de manière globale en raison d'actions politiques violentes (de la part d'activistes minoritaires) sans cohérence avec les principes gandhiens défendus par le philosophe norvégien. Ce serait naturellement se méprendre sur une œuvre encore méconnue et souvent incomprise, dont les aspects techniques et la dimension politique méritent de ne pas être ignorés. Sa richesse et sa complexité ne s'épuisent pas dans l'affirmation catégorique de thèses, mais dans la recherche et l'articulation perpétuelle de fondements théoriques sans cesse réévalués et d'une praxis susceptible de mettre un terme, enfin, à la crise environnementale. Næss pensait que le XXIIe siècle était un horizon raisonnable. Méfions-nous, ce n'est pas si loin.
 

Charles Ruelle est le traducteur d'Ecologie, communauté et style de vie d'Arne Næss (Editions MF, 2008).
 

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